Chaque religion renferme un ésotérisme, mais ce n'est pas l'ésotérisme qui extériorise une religion; c'est la religion, ou plutôt quelques-uns de ses représentants, qui extraient de la doctrine générale une doctrine secrète. Les religions représentent, dans un certain sens, la grande route, facile, sûre, mais plus longue; les initiations, ce sont les raccourcis, les chemins du contrebandier, pénibles, dangereux, mais qui mènent plus vite aux cimes de neige immaculées d'où l'âme peut prendre son essor pour l'Infini.
Ou plutôt, il en est ainsi pour toutes les religions, sauf pour la religion chrétienne. En effet, de même que les clefs des arcanes évangéliques se trouvent, non dans des hiéroglyphes, mais dans le coeur de l'étudiant, de même la parole du Christ est la grande route ou la coursière, selon l'énergie du pèlerin, selon qu'il est un modéré ou un violent. La « violence » ici n'est pas du tout l'effort volontaire de l'adepte; c'est quelque chose de tellement en dehors des catégories mentales raisonnables, c'est un effort tellement surhumain, une abnégation si absolue que je crains, en vous en donnant un exemple, de vous scandaliser; je crains de ne pas savoir vous faire comprendre cette ivresse éperdue qui jette à la mort les coeurs incendiés par la torche de l'Amour. Il est des extases que le verbe des plus grands poètes affaiblit en les exprimant; à plus forte raison serais-je présomptueux de vouloir les décrire. Si l'un de vous porte en soi cette violence, il trouvera bien seul l'occasion de l'employer.
S'initier est une grande affaire. Il ne suffit pas de se dire ou de se croire Rose-Croix; il ne suffit pas de rompre un pain avec cérémonial, de discourir sur des symboles, de réussir quelques curiosités alchimiques, ni d'agir à distance volontairement. Méfions-nous de la littérature; à notre époque, le moindre écrivain se fait appeler « cher Maître » et le moindre amateur d'occultisme, « Maître » tout court.
Réagissons contre ce goût du compliqué, de l'étrange et du mystérieux; il n'est si fort que parce que notre culture nous fait artificiels. On quitte la religion ordinaire parce que la science exacte semble plus profonde; mais quand on a sondé le vide de celle-ci, on se précipite dans les sciences fantastiques. Que nous sommes naïfs ! Que les Orientaux ont raison de nous considérer comme des sauvages, de nous envoyer parfois des systèmes absurdes et des messages fallacieux !