La prière est l'entreprise la plus difficile qui puisse être proposée à l'homme; cependant tout prie autour de nous. Le minerai, la plante, l'animal demandent à la Nature l'entretien de leurs forces; tout acte est une demande; et tout être agit nécessairement puisqu'il vit. Parmi les créatures, c'est l'homme qui refuse le plus souvent de reconnaître cette loi, et c'est pourtant surtout à lui qu'elle s'applique. J'espère vous montrer combien une telle conduite est déraisonnable.
Comprise dans sa dignité réelle, la prière est un désir du Ciel et une conversation avec Dieu. Elle est une grâce et la source des grâces; elle est une graine dans les terres de l'éternité; une oeuvre plus précieuse que tous les chefs-d'oeuvre, plus grande que le monde, plus puissante, pourrait-on dire, que Dieu Lui-même. Ne vous étonnez point; nous quittons ici les royaumes policés de la raison; nous sommes dans les forêts luxuriantes de l'Amour. Faites taire l'intelligence; ouvrez les fenêtres du coeur; contemplez les champs infinis des collines éternelles; que ne puis-je vous les rendre visibles !
Parce que la prière est l'acte suprême, elle ne vaut, elle n'existe que si la sincérité la provoque. En tout temps des anges se tiennent autour de nous. Quand nous pensons à Dieu, ils arrivent en plus grand nombre; les uns sont bénévoles; d'autres se postent pour recueillir ce que nous pourrons émettre d'égoïste dans notre demande. D'autres, enfin, venus par un désir sincère de regarder Dieu à travers notre coeur, se scandalisent et se découragent si notre prière est mal faite. Nous sommes responsables de tout cela.
Deux mouvements se produisent dans la prière. Le désir s'humilie, s'exalte et se réfugie dans la miséricorde divine, qui est le Christ; la grâce lui répond, s'offre et se laisse dévorer par lui. Ces deux sont la forme mystique de la foi; et plus le désir s'enfonce dans l'abîme d'humilité, plus il attire la grâce, plus notre coeur se nourrit, plus le Verbe Se développe au fond de nous.
La prière est l'effluence de notre personnalité vers l'Absolu; elle s'abandonne au Père, elle se jette dans Ses bras, elle converse avec Lui, mais sans paroles. Elle n'use pas de l'intellect; c'est le coeur qui a enfin touché son complémentaire total, qui s'étonne, défaille, meurt et renaît, dans une béatitude infiniment croissante.
Si telle est la prière, vous comprenez qu'il ne faut prier que Dieu seul. Cela se fait bien rarement. On s'adresse d'ordinaire au dieu que l'on s'est choisi. Une brave femme qui va à l'église demander au bon Dieu que son obligation sorte au tirage, tandis qu'elle a déjà de petites rentes, ce n'est pas Dieu que son coeur prie, c'est le dieu de l'argent. Combien de fois ne nous conduisons-nous pas comme cette bonne vieille !